C’est une désolation. Un paysage balayé par les bourrasques de vents comme sur une confusion de mer et de terre embrumées au large d’une Islande chère à Pierre Loti.
La faible lumière du soir vient se poser une dernière fois sur les trois Miscanthus nepalensis qui plient tout à coup sur leur dorure. Comment vous dire la morosité ? De mon banc, trouver une perspective : il me faudrait combler l’espace. Laisser l’œil se poser sur les fenouils bronze noircis et les arcs – en fer à béton – torsadés ne supportant, maintenant, que le vide. La chapelle à ciel ouvert.
Sur le chemin de mon regard, vient barrer l’horizon un sillon qui se tortille comme un lombric au milieu du troisième cercle. Une zébrure d’éclair au milieu de la ronde terre.
Le jaune de la lumière électrique et sa chaleur ne déborde pas du cadre d’une petite fenêtre entourée de gris, entre gris clair et gris foncé, que font les vieilles pierres de granit si caractéristiques de la Bretagne et le ciel pisseux, si caractéristique aussi (mais pas que !). Le petit café au coin de la rue principale de Loc Envel crépite. Le soir tombe, et une dernière fois nos feux de croisement éclairent sommairement la petite église de Loc Envel. On pourrait entendre ses deux cloches accrochées au fronton. Un bijou d’architecture intérieur/extérieur niché dans une nature ligneuse, sculpté de bois et bâti de blocs de granit. Après l’église, tourner à gauche. Sur la petite route, la vue panoramique –imprenable- semble parler comme une voix en écho de GPS : vous êtes bien arrivés. Pépinière des Korrigans. Thomas nous attendait. Il nous parle maintenant avec son tutoiement –entre barbus solidaires. Ce qui nous rend complices de ses plantes. Là tu vois je n’ai plus grand-chose en fleurs… en graminée, j’en ai une qui aime les sols secs et que j’aime pour ses inflorescences rosées, Mulhenbergia capillaris… vous avez déjà. Celui-ci, c’est un Pennisetum massaicum qui fait des petits écouvillons violacés en été et là ils deviennent bruns. Sinon avec mes Miscanthus giganteus je fais des écrans et au début du printemps broyés je m’en sers comme paillage. Tu veux des Deschampsia cespiteuses, tiens je t’en donne. Elles se sont ressemées partout là. J’évite d’avoir des traçants, j’essaie de nouvelles variétés d’Aster… Ah, pour tes Eremurus tu peux les mettre au frigo avant de les replanter au printemps dans une poche de cailloux en mélange avec de la glaise pour que les mulots ne te les gloutonnent pas… Tu aimes ce qui fait naturel ?… Quand je vois ici en Bretagne, les cimetières remplis de chrysanthèmes, c’est une hérésie… Il m’arrive d’acheter comme tout le monde aux fêtes des plantes, certains pépiniéristes dopent encore leurs plantes avec de l’osmocote. Pour moi, la plante doit se débrouiller seule dès le début ; ce qui la rend plus résistante et garantit à mon avis une meilleure reprise…
Sur la même ligne…nous avons refait le tour des petites allées du jardin des Korrigans désirant nous fondre dans les hautes touffes de graminées. Les Molinia se balançaient.
Un point lumineux se balance devant nous, guidant nos pas. La lampe que tient Fabrice est notre seul repère pour aller jusqu’au bungalow où nous passerons la nuit près de la pépinière de plantes d’ombre, Sous un arbre perché. Le sommeil ponctué par le chant lugubre des chouettes, reines de la petite forêt privée de Kervocu à Guerlesquin. Le matin d’automne nous cueille en train de traverser seuls le jardin de présentation où trône, fleurie, la collection de saxifrages. Olivier nous assure que l’on peut voir la mer au loin, au-delà de la limite de propriété bien entendu, quand il fait beau ! Sous les bottes, le tapis de feuilles se déroule au travers d’une quarantaine d’hectares de bois préservé. Olivier Galéa nous guide de surprises en surprises : notre petit chaos confie-t-il escaladant les gros blocs de granit énigmatiquement posés sur le flanc d’un dénivelé, plus loin il s’ingéniera à nous montrer la marque du diable ou de loups garous sur le tronc de bouleaux – des écorces griffées. La bête rôde sûrement, un blaireau ? Le chemin de promenade redevient plus serein quand Olivier nous fait sentir le doux parfum des genêts encore en fleur. Plus loin il faudra descendre jusqu’au ruisseau, apprendre à reconnaître un Carex des marais, poursuivre jusqu’à l’arbre de la sorcière recouvert d’un tapis de lierre… Tourner la tête tout à coup et percevoir en une fraction de seconde la révélation de la pièce d’eau, clou de la perspective. Fabrice s’active pelle en main à planter des Acer japonais. Depuis quelques jours, il joue du coupe-coupe pour créer des poches parmi saules, fougères et arbrisseaux qui accueillent quelques Viburnum. Je contribue un bref instant à créer une alvéole pour un Acer en coupant un saule à l’aide d’une scie élagueuse de fabrication japonaise fort efficace. Démonstration faite. La discussion fait alors débat sur la plantation ou non d’un Acer -au feuillage écarlate toute l’année- sur la petite île devant la cabane de pêche en bois sur le versant opposé. Déjà, l’eau semble réfléchir ce que sera le flamboiement d’automne des liquidambars qui bordent la pièce. Cette année, ils n’ont pas tournés se désole Fabrice.
La désolation, les oiseaux la contemplent des airs lorsqu’ils prennent leur envol sur la grande étendue entre ciel et mer. La plage du Dossen à quelques encablures de Roscoff. Sans aucun point de chute. Il y a de ces errances dans mon regard qui croise parfois le tien marchant sans but sur le Sillon de Talbert, incrédules lorsque l’on se retourne sur le soleil qui vient mourir sur la rousseur des algues qui habillent les rondeurs des galets. Le jardin, c’est peut-être un entre-deux, comme à Huelgoat où l’on s’attend voir surgir un monstre marin des eaux paisibles du lac et se dissimuler derrière la pierre qui tremble des personnages féériques au beau milieu du Chaos.
Là, sur mon banc, j’ai finalement dessiné le Sillon où danseront sous la brise, sous un air de fest noz les Massaicum, les Molinia ‘Transparent’, les Silberfeder et les nepalensis.