Entropismes

Une pluie battante cognait sur les vitres. Des dizaines de kilomètres parcourus pour voir un petit jardin qui semblait énigmatique. Sous la mousson. Aux confins de l’orne.

Athis, on dirait le nom d’une déesse ou d’un cinquième mousquetaire déchu ! Cette visite est lointaine, embrouillée, embrumée. Cependant, je ravive ce souvenir par une mélancolie, goût de la finitude. Notre reflet sous un parapluie dans les diverses miroirs, posés dans cet « Intérieur à ciel ouvert », renvoie à peine l’image. L’hydrangea bleu parmi les fougères, dans son pot, est pleinement dans son élément. Il éclaire. Il faudra plus loin se protéger sous une tonnelle naturelle, faite de bambous, laissant apparaître -par une sorte de jalousie vivante- le cube en verre, énigmatique. Posé en suspens. Est-ce la porte de sortie ? Ouverture sur un autre monde. Le monde après la pluie. Il pleut pour l’instant à l’intérieur. Et les dégradés de vert de l’autre côté du cercle, posé comme un emporte-pièce dans la haie, ont un air délavé. C’est confus. Je me souviens sans certitude de succulentes dans un jardin de gravier ou l’ai-je imaginé ? Je me souviens du gigantisme d’une ombellifère, la Berce du Caucase qui, selon le propriétaire du lieu, était urticante à un point qu’elle brûlerait au second degré – ou est-ce une exagération ? Cet « Intérieur » fut un refuge, un abri de quelques minutes sans jamais parvenir tout à fait à y pénétrer… Le monde après la pluie, peut-il de figer ? Athis, c’est réveiller l’esprit, le fantôme d’une œuvre. Aujourd’hui, elle a certainement disparu. Comme si elle n’avait jamais existé :

Des rubans noirs font une spirale au-dessus de nos têtes. Élevés. Un trou noir au-dessus de nos têtes. Y avait-il encore des feuilles, une frondaison, accrochées à ces hauts hêtres bordant le chemin ? Ces lattes de bois cloutées enlacent les arbres et les font se rejoindre. C’est une auréole sombre au milieu du bois. Le bois Charles Meunier-Velay. Des volutes.

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Sous son toit de feuilles d’un vert vigoureux, un cercle noir -limité mais sans fin – relie plusieurs troncs solides et bien droits. Comme une « ombre silencieuse » suspendue entre ciel et terre, il nous rappelle le cycle universel de la vie, la fugacité des interventions de l’homme et l’équilibre fragile de la nature. Rainer Gross.

Je voyage. De la poudreuse lancée en l’air qui disparait. Petites réminiscences. Je cherche constamment cette image d’Arte d’un mur qui serpente à travers des arbres d’une forêt, s’interrompt près d’une route pour continuer vers les torrents d’une rivière. Tout à coup l’écosse. L’écorce des arbres. Les volutes me rappellent. M’appellent. Le mur de pierres se finit-il plongeant dans la mer ou en émerge-t-il ?

Il y a ces cocons grandeur humaine, sarcophages en bois, de Chaumont. Il y a ces cairns au sommet. Il y a cette sphère –en osier ?- trônant au milieu du jardin de mon maître de stage, paysagiste. Il y a le land art. Dans les années 60, des artistes anglo-saxons veulent se libérer des diktats académiques et sortir des galeries, des écoles et même de leurs ateliers. Robert Smithson, aux Etats-Unis, est l’un des précurseurs ; celui qui va théoriser le land art. Il aura à son actif quelques œuvres notoires comme cette jetée démesurée en forme de spirale rappelant les tourbillons des eaux du Grand Lac Salé dans l’Utah au bord duquel elle a été construite. Spiral jetty, c’est son nom, est faite de boue, de cristaux de sel, de rochers basaltes et de bois. Cette spirale, enroulée dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, a été submergée pendant trente ans par la montée des eaux du lac avant de réapparaitre lors d’une sécheresse en 2002 pour enfin disparaître sous les eaux jusqu’à aujourd’hui. Robert Smithson est mort à l’âge de trente-cinq ans, laissant des œuvres inachevées.

Ces artistes travaillent en collaboration avec la Nature, ses cycles. Celle-ci leur fournit matériaux. Ils ont en commun la marche, la recherche et l’imprégnation de sites. Richard Long déplace des éléments naturels lors de ces marches, du bois des pierres des fleurs pour créer souvent des lignes. Des cercles. Ces auteurs du land art sont obsédés par des formes que l’on retrouve dans la nature. Et rien ne reste. Tout s’effondre. Comme les sphères, sortes de grosses graines de pierres ou de bois qu’Andy Goldsworthy construit, reconstruit quand tout s’écroule. Plusieurs fois d’affilé, il lui faudra refaire et refaire avant que la mer monte. Puis la marée emportera tout, un jour ou l’autre.

Le mur est-il toujours là ? Pour combien de temps ? Les pierres sèches se couvrent-elles de mousses, de lierre ? Tombent-elles ?

Que reste-t-il de nos deux corps en-dessous de l’auréole de bois noir entre les hêtres centenaires d’Athis après la pluie ? Des feuilles sèches jaunies entourées de feuilles brunes détrempées. Un léger contraste que le vent dispersera, sans que nul ne s’en aperçoive.